Le groupe propriétaire de la désormais célèbre clinique Ain Borja (nonuplés maliens) s’est renforcé avec l’ouverture de son capital aux investisseurs. Plus de 130 millions d’euros d’investissements sont attendus.
Le 4 mai dernier, Halima Cissé, une jeune malienne de 25 ans, a donné naissance à neuf nouveau-nés, cinq filles et quatre garçons, à la clinique
Un heureux record relayé dans le monde entier qui a mis sur le devant de la scène cet hôpital privé, ainsi que le groupe auquel il appartient : Akdital. Et s’il est quelqu’un d’aussi heureux, ou presque, que les parents, c’est bien le docteur Rochdi Talib, le PDG de cet acteur marocain de la santé, qui a reçu Jeune Afrique au siège de son holding.
L’ÉQUATION EST DÉLICATE MAIS PAS DU TOUT IMPOSSIBLE À RÉSOUDRE
Cumulant désormais 1 000 lits, selon ses dirigeants, soit 10 % de l’offre nationale privée, Akdital se revendique leader de cette branche de la santé dans le royaume, avec plus de 500 millions de dirhams de chiffre d’affaires annuel (près de 46 millions d’euros). Il ambitionne, à court terme, de passer le cap des 700 millions.
Médecin anesthésiste-réanimateur, Rochdi Talib a commencé sa carrière dans une petite clinique de Casablanca en 1997 avant de rêver de bâtir son propre réseau. “Mon passage dans cette première maison casablancaise m’a permis de me confronter à la réalité du terrain et, surtout, de réfléchir à la manière d’améliorer les choses. C’est une équation délicate, mais pas impossible à résoudre”, explique le médecin marocain
RÉTICENCE INITIALE DES BANQUES
En 2010, avec son épouse, elle-même médecin radiologue, et l’aide financière du père de cette dernière – un industriel casablancais –, ils décident de se lancer dans la construction de la clinique Jrada. Les banques sont alors plutôt réticentes à financer des projets dans la santé, à la suite d’expériences malheureuses dans le secteur. Le beau-père n’a le droit de détenir que des parts dans la composante immobilière, et toute un montage juridique complexe est nécessaire pour mettre la clinique sur pied.
JE COMPRENDS LES CRAINTES DES MÉDECINS QUI SE PRONONÇAIENT CONTRE CETTE LOI
Dotée de 50 lits à son ouverture en 2011, la structure a coûté 75 millions de dirhams. S’il se réjouit d’avoir « tout mis en œuvre pour s’épanouir professionnellement” avec ce nouveau projet, Rochdi Talib tire aussi profit de la métamorphose que connaît le secteur de la santé au Maroc en 2015. L’adoption de la loi 113-13 permet en effet à tout investisseur de détenir une partie ou la totalité des actions d’une clinique. Un texte grandement critiqué à l’époque, mais qui compte bien des adeptes.
“Je comprends parfaitement les craintes des médecins qui se prononçaient contre cette loi. Ils avaient peur d’être exploités par des investisseurs ou qu’on leur dicte la manière d’exercer leur art”, nous explique Rochdi Talib, dans les locaux du holding d’où sont gérées les cliniques du groupe.
Un secteur en pleine mutation
Après 2015, les ambitions d’Akdital grandissent rapidement et les banques ouvrent plus facilement leurs lignes de crédit.
C’est CIH Bank, présidé à l’époque par Ahmed Rahhou, qui le premier s’est proposé pour accompagner le groupe en herbe. Rapidement, la clinique est agrandie et atteint une capacité de 100 lits, pour un investissement de 120 millions de dirhams. Jusqu’en 2019, et sur le même modèle, trois autres cliniques dont celle de Ain Borja, ouvriront dans trois différents quartiers de Casa – avec un investissement moyen de 200 millions de dirhams. L’une d’elles est spécialisée dans la cardiologie, une autre se consacre aux traitements cancérologiques.
Pour compléter le catalogue des prestations, deux autres cliniques ont été rachetées à Casablanca, notamment pour se renforcer en chirurgie pédiatrique. « Nous ne discutons jamais rentabilité ou amortissement pour telle ou telle machine. En tant que médecin ayant pratiqué plusieurs années avec des moyens limités, je ne débats jamais de la nécessité d’avoir tout ce qu’il faut. C’est pour cette raison que mes confrères me font confiance”, assure notre hôte qui dit être entouré de 700 médecins collaborant avec les différentes cliniques.
CRUEL MANQUE DE LITS À L’ÉCHELLE NATIONALE
Le manque de lits sur le territoire national, où l’on dénombre environ 1 unité pour 1 000 habitants (selon la Banque mondiale) contre 6 dans la région de Casablanca, a convaincu Rochdi Talib d’investir dans d’autres régions du royaume. Dans des villes comme El Jadida, où le groupe inaugurera prochainement un établissement de 220 lits, présenté comme la plus grande clinique privée du Maroc, ainsi que Tanger (ouverture prévue en mars 2022) et Agadir (juillet 2022).À LIREMaroc : l’hôpital public, ce grand malade
Pour poursuivre sa croissance, Rochdi Talib et Akdital peuvent compter sur l’appui de Mediterrania Capital Partners (MCP). La société de capital-investissement dirigée par l’Espagnol Albert Alsina, avec ses associés Saâd Bendidi et Hatim Ben Ahmed, investit dans les PME et les entreprises du « mid-market » en Afrique. Rochdi Talib et Saâd Bendidi entretenaient des relations cordiales du temps où le second dirigeait Saham entre 2013 et 2017.
LE POTENTIEL EST ÉNORME PARTOUT DANS LE PAYS
“MCP s’est rendu compte que nous étions en train de faire de bonnes choses. Après quelques réunions, nous sommes tombés d’accord pour l’acquisition de 20 % dans le capital [en 2019]”, rembobine notre hôte qui précise que l’entente initiale était pour l’implantation à Tanger et Agadir.
Dès l’annonce de la naissance des nonuplés, MCP s’est réjouit dans un communiqué de l’événement. « Notre travail de capital-investisseur ne peut recevoir une plus grande récompense que de voir comment le personnel médical des cliniques d’Akdital, assisté des technologies les plus avancées, sauve des vies chaque jour », avait alors affirmé Albert Alsina.
LES FONDS D’INVESTISSEMENTS DE PLUS EN PLUS ACTIFS
De fait, le secteur de la santé au Maroc intéresse de plus en plus les fonds d’investissements. Et les prises de participation se multiplient. À la fin de 2020, le sud-africain Vantage Capital a injecté 28 millions de dollars dans le groupe Cliniques internationales du Maroc. CDG Capital Private Equity a elle aussi pris une part dans le groupe Oncorad à la suite d’une augmentation de capital.
LE ROI A DEMANDÉ UNE GÉNÉRALISATION DE L’ASSURANCE MALADIE OBLIGATOIRE
« Le potentiel est énorme dans le pays à cause du manque d’infrastructures médicales. Les hôpitaux publics sont souvent surchargés et ne peuvent, même dans le meilleur des cas, prendre en charge plusieurs pathologies, notamment les plus graves », décrypte un spécialiste du capital-investissement prospectant au Maroc. « En parallèle, le royaume dispose d’un grand nombre de médecins hautement qualifiés et auxquels ces investisseurs ont confiance. Le seul hic, c’est le pouvoir d’achat qui peut être insuffisant pour une bonne partie de la population”, complète notre source.
EXPANSION TERRITORIALE EN COURS
Le secteur a reçu un coup de pouce supplémentaire depuis le discours du Trône de juillet 2020. Le roi a demandé une généralisation de l’assurance maladie obligatoire au profit de 22 millions de Marocains supplémentaires, afin de couvrir le coût des médicaments, ainsi que les frais de traitement et d’hospitalisation.
NOUS AVONS REPENSÉ NOTRE FEUILLE DE ROUTE
« Notre stratégie d’expansion sur le territoire national était limitée avant le discours du roi Mohammed VI. Nous ne voulions nous cantonner qu’à Tanger, Agadir et El Jadida, mais depuis nous avons repensé notre feuille de route”, révèle Rochdi Talib qui prévoit un investissement de 1,5 milliard de dirhams au cours des prochaines années.
De nouvelles villes sont ciblées: à l’instar d’Asfi où la construction des installations a déjà commencé. Il en va de même pour Salé et Khouribga où les équipes d’Akdital sont déjà à la recherche de foncier. D’ici à la fin de 2022, Akdital table sur un parc de 15 cliniques, pour environ 2 000 lits et près de 3 000 emplois.
VERS LA COTATION EN BOURSE
Pour dégager davantage de fonds et se concentrer sur l’équipement, Rochdi Talib a créé Akdital Immo, qui sera en charge des murs des futures structures.
JE SUIS ENTOURÉ DE GENS TRÈS COMPÉTENTS DANS LA FINANCE
Selon nos informations, plusieurs investisseurs ont déjà manifesté leur intérêt pour acquérir des parts dans cette société immobilière. Le promoteur TGCC, appartenant à Mohammed Bouzoubaa, en est déjà actionnaire. Akdital compte, à terme, être minoritaire dans cette nouvelle entité.
Par ailleurs, Rochdi Talib, qui depuis plus de trois ans se concentre entièrement à la gestion de son entreprise, cible une entrée en Bourse pour son groupe médical. Et ce afin de poursuivre l’institutionnalisation de son tour de table. « Je suis entouré de gens compétents dans la finance et le droit des affaires. C’est ce qui me permet de gérer au mieux le groupe”, assure le médecin-entrepreneur marocain, qui tient désormais un discours de financier.